Qu’est-ce qu’une bastide ?

Une bastide n’est pas un bâtiment tel qu’une église ou un château.

C’est un type de village, pour simplifier : un plan d’agglomération, conçu pour mettre le marché au cœur de la cité. Plusieurs de ces marchés continuent de se tenir, le jour spécifié par le texte du 14e siècle.

Ce type de plan est adopté à partir de 1250, alors que le commerce est en plein essor. Les bastides sont créées par les rois et principaux seigneurs. Sans doute en attendaient-ils le revenu des taxes à payer par les habitants. Mais ils ont attribué à ceux-ci, pour construire leurs maisons, des lots de dimensions égales, taxés d’une façon identique et spécifiée par contrat : c’était comme une petite révolution !

 

C’est cette histoire que le plan des bastides nous raconte.

La société médiévale en évolution

Depuis l’an 1000, la population s’est accrue fortement dans l’Occident latin. Grâce notamment au progrès du transport maritime, les échanges économiques se sont développés, à l’échelle du continent eurasiatique (routes de la soie, des épices) et de l’Europe (vin, draperie, sel, minerais…). Les foires et les marchés hebdomadaires des bastides en sont un point d’aboutissement.

Les structures de la société évoluent : rois et vicomtes renforcent leur pouvoir, ils créent les premiers rudiments de l’organisation d’États modernes (notariat, services d’archives, enquêtes fiscales…). Un regroupement de l’habitat est impulsé par la fondation de villes ou bourgades nouvelles. Dans le sud-ouest de la France actuelle, il n’y avait pas de villes significatives dans un triangle Bordeaux-Toulouse-Bayonne. Ce retard sera comblé en différentes étapes. Les créations de villes ou villages sont d’abord impulsées par les monastères (sauvetés), puis par les seigneurs (bourgs « castraux » à l’abri du château, « castelnaux »).

Après 1230 est promue une nouvelle génération de bourgs, mis directement sous l’autorité du roi ou du prince, avec des fonctions économiques de commerce et de développement agricole. Quelques centaines seront créés en à peine plus d’un siècle, à l’initiative des rois de France, d’Angleterre ou de leurs mandataires, ou bien de comtes, vicomtes, ou encore d’abbayes.

Comment nommer ces créations d’un type nouveau ? On utilise un terme alors déjà connu, les bastides, il était utilisé en Provence dans un sens différent. Il se généralise à partir des années 1270 pour désigner ces villes ou villages nouveaux, ou pour une extension de bourgs anciens, parfois pour un simple statut juridique donné à une agglomération existante.

En impulsant la création des bastides, les princes jouent un rôle important dans l’aménagement du territoire, en surfant sur la vague de cet essor économique (qui se ralentit d’ailleurs début 14e s.). Ces dispositions leur permettent d’augmenter leurs revenus : la classe noble a alors d’importants besoins d’argent, à cause des dépenses somptuaires mais aussi à cause du coût croissant des dépenses militaires propres à assurer ce bien commun fondamental que représente la paix.

A partir des années 1350, les créations cessent : la Guerre de Cent Ans oppose le duc d’Aquitaine-roi d’Angleterre et le roi de France, car ce dernier brigue la possession de cette belle zone fertile. A partir de 1348, une sévère épidémie de peste crée en outre une saignée démographique majeure. Le climat lui-même n’assure plus les belles récoltes régulières des siècles précédents.

Plus tard, dans des périodes ultérieures de relative prospérité (comme aux 17e -18e siècles), les maisons sont reconstruites en pierre, car trop de villes ont été détruites par l’incendie ou les guerres. Mais le plan du noyau d’habitat est généralement bien respecté (disposition des rues, largeur des maisons), nous permettant une observation unique sur une tranche de temps méconnue et injustement méprisée.

Un plan adapté au commerce

Dans les bastides, la place de marché s’affirme au cœur de l’agglomération. Elle est laissée libre pour les étals et à l’occasion bordée d’arcades, qui permettent le passage et le commerce à l’abri des couverts. L’église est construite hors de la place et en général aucun château n’existe préalablement à la bastide. Autour de la place, le réseau orthogonal des rues trace souvent un plan en damier, qui facilite une extension progressive de l’habitat.

Parmi les premières bastides, certaines sont encore édifiées sur un piton. Mais le développement du commerce, qui s’effectue alors surtout par voie fluviale, conduit bientôt à les implanter dans les vallées : leur rôle militaire devient secondaire, quand elles en ont encore un : aussi n’est-il plus nécessaire de prévoir un site stratégique en hauteur. Lors des épisodes ultérieurs de guerre ou d’insécurité sont édifiées des enceintes défensives.

Les chartes de fondation et de coutume

Souvent, le fondateur ne dispose pas de terres pour la fondation. Les terres sont « données en fief » à des seigneurs ou des abbayes, on dirait aujourd’hui qu’ils en ont un droit d’usage. Le seigneur fondateur doit donc conclure un accord (dit ‘de paréage‘) avec le seigneur local ou l’abbaye qui a les droits sur les terres.

Pour rendre chaque fondation attractive, le fondateur accorde différents avantages incitant à venir s’y installer. En Béarn, le vicomte concède aux habitants les droits (‘fors’) consentis à son ancienne capitale, Morlaàs, pour laquelle une révision importante des droits et devoirs des habitants avait été faite. Il y ajoute des avantages complémentaires : meilleure protection en cas de dette, réduction des obligations militaires… La bastide est administrée par des jurats et un bayle. Le notaire représente l’autorité vicomtale pour exercer la justice et prélever les impôts. Ceux-ci sont calculés sur la largeur des parcelles, constante dans une même bastide, d’où la succession régulière de lots que l’on observe encore aujourd’hui. Les taxes portent aussi sur les terres données à chacun en culture hors les murs : cette attribution nominative de terres va à l’encontre des espaces indivis gérés collectivement par les communautés montagnardes.

Modernité des bastides

Les bastides constituent encore une part importante de nos villes et villages du Sud-Ouest de la France. Mais leur intérêt n’est pas seulement un patrimoine architectural.

  • A l’époque de leur création, le développement d’échanges commerciaux à échelle continentale est le début du monde économique internationalisé actuel.
  • Les bastides mettent la fonction commerciale au cœur d’une ville.
  • La ville est gérée par la société civile.
  • Elles mettent en pratique une rationalité de l’impôt et prévoient un encadrement juridique : la taxe à payer est en numéraire et calculée pour chaque famille installée, c’est un ancêtre direct de notre fiscalité par foyer fiscal.
  • Les maisons côte à côte sont économes en espace, c’est de ce point de vue un aménagement durable du territoire qui interpelle de nos jours architectes et urbanistes

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